C’est une petite phrase lâchée au tribunal qui fait beaucoup de bruit. En pleine bataille judiciaire contre Google, le responsable de ChatGPT, Nick Turley, a déclaré qu’OpenAI serait partant pour racheter le navigateur Chrome… si la justice obligeait Google à s’en séparer. Rien que ça. Ce scénario, qui semblait encore impensable il y a quelques mois, n’est désormais plus totalement exclu. Et avec ce témoignage, OpenAI envoie un message clair : l’entreprise veut peser davantage dans la manière dont on accède au Web, quitte à marcher directement sur les plates-bandes de Google.
Pourquoi Chrome est dans le viseur de la justice américaine
Depuis l’été dernier, Google est dans le collimateur de la justice américaine. En août 2024, le juge fédéral Amit Mehta a statué que la firme abusait clairement de sa position dominante sur le marché de la recherche en ligne. Et quand on parle de monopole, il ne s’agit pas de simples soupçons : Google capte à lui seul près de 90 % des parts de marché (source : Statcounter). Autant dire que la concurrence n’a pas vraiment voix au chapitre.
Mais cette fois, les autorités ne veulent plus se contenter d’amendes ou de promesses en l’air. Le ministère de la Justice (DOJ), appuyé par plusieurs États américains, réclame des mesures fortes pour rééquilibrer les choses. Et parmi ces mesures, il y en a une qui fait particulièrement grincer des dents à Mountain View : forcer Google à céder son navigateur Chrome.
Pourquoi Chrome ? Parce que ce n’est pas qu’un simple outil pour naviguer sur Internet. C’est un levier stratégique majeur. Avec environ 66 % de parts de marché en mars 2025 (source : Statcounter), Chrome agit comme une porte d’entrée directe vers l’écosystème Google : moteur de recherche par défaut, services maison mis en avant, données collectées en masse. Bref, un outil redoutable pour maintenir son hégémonie. Et selon la justice américaine, un verrou à faire sauter pour rétablir une concurrence saine.
OpenAI ne cache plus ses ambitions
Lors de son audition, Nick Turley, qui dirige l’équipe en charge de ChatGPT chez OpenAI, n’a pas tourné autour du pot. Quand on lui a demandé si OpenAI serait intéressée par le rachat de Chrome si Google devait s’en séparer, sa réponse a été simple : « Oui, nous le serions, comme beaucoup d’autres acteurs. »
Mais derrière cette réponse se cache une stratégie bien plus large. Pour OpenAI, mettre la main sur un navigateur aussi populaire que Chrome permettrait d’accélérer une transition vers une expérience « IA-first », comme l’a formulé Turley. En clair, le but serait d’intégrer ChatGPT en profondeur dans l’interface du navigateur, pour proposer une manière complètement nouvelle de naviguer sur le Web, avec l’IA au cœur de tout.
D’après lui, cela permettrait de proposer une expérience utilisateur bien plus riche, et surtout, de ne plus dépendre d’autres plateformes pour diffuser leurs outils. Un point sensible pour OpenAI, qui peine à trouver sa place sur les appareils Android, alors qu’un accord a déjà été trouvé avec Apple pour intégrer ChatGPT sur l’iPhone.
Un problème de distribution… et un mur nommé Google
Pour OpenAI, l’un des freins majeurs aujourd’hui, c’est la distribution. Même avec un outil comme ChatGPT, utilisé par des millions de personnes, l’entreprise reste tributaire des plateformes contrôlées par d’autres. Et quand ces plateformes s’appellent Android, Chrome ou encore les stores d’applications, ça complique un peu les choses.
Nick Turley l’a bien expliqué : malgré un partenariat avec Apple pour intégrer ChatGPT sur l’iPhone, les discussions avec les fabricants Android n’ont jamais vraiment abouti. Il a même cité Samsung, en précisant que les négociations n’avaient jamais dépassé le stade des échanges de base. La raison ? Google serait arrivé avec de plus gros moyens pour imposer son propre assistant, Gemini, sur les appareils Android. Depuis janvier, la firme paierait grassement Samsung pour que Gemini soit préinstallé par défaut.
Et pour OpenAI, c’est un vrai problème. Comme l’a résumé Turley, « ce n’est pas faute d’avoir essayé ». Mais difficile de rivaliser avec un acteur qui contrôle à la fois le système d’exploitation, le navigateur, le moteur de recherche… et qui a les moyens de verrouiller les accords avec les fabricants.
Vers un démantèlement de Google ?
Ce procès, c’est un peu plus qu’une simple mise au point juridique. Pour le gouvernement américain, l’objectif est d’affaiblir la domination de Google sur la recherche en ligne. Et pour y arriver, le ministère de la Justice a proposé plusieurs mesures plutôt musclées.
La plus marquante ? Forcer Google à vendre Chrome. Une décision qui, si elle était validée par le tribunal, marquerait une première depuis la scission d’AT&T dans les années 80. On parle ici d’un démantèlement pur et simple d’une des pièces maîtresses de l’empire Google.
D’autres idées sont aussi sur la table, comme l’interdiction de payer des partenaires (Samsung, Apple, Mozilla…) pour que Google Search soit installé par défaut ou encore l’obligation de partager certaines données avec des concurrents. Des mesures qui visent toutes à redonner un peu de souffle à la concurrence, dans un secteur où Google écrase tout sur son passage depuis des années.
Évidemment, Google s’y oppose fermement. L’entreprise a déjà annoncé son intention de faire appel et met en avant les investissements colossaux réalisés dans Chrome ou Android. Selon elle, forcer une vente reviendrait à briser un modèle qui profite à tout le monde… mais ça, ce sera au juge d’en décider. En attendant, une chose est sûre : la bataille pour le contrôle de l’accès au Web est loin d’être terminée.
Source : Neowin