Sites pour adultes : une vérification d’âge chez le buraliste, vraiment ?

Devanture d’un bureau de tabac français avec une affiche humoristique indiquant « ICI, demandez votre Pass Porno »

En France, on ne manque jamais d’imagination. Surtout quand il s’agit de réglementer Internet. Pour protéger les mineurs de la pornographie en ligne (un objectif parfaitement légitime, il faut le dire), le gouvernement a décidé de sortir l’artillerie lourde : fini le bouton « j’ai plus de 18 ans », place au videur numérique. Et devinez où ce fameux videur pourrait vous attendre ? Au bureau de tabac. Oui oui, parmi les solutions évoquées, figure l’idée de prouver sa majorité en allant récupérer un code chez son buraliste 🤦‍♂️.

La scène est bien réelle, et ce n’est pas un sketch des Inconnus. C’est Clara Chappaz, la ministre déléguée chargée de l’Intelligence artificielle et du Numérique, qui l’a détaillée elle-même à la télé, avec une sincérité désarmante. Elle a évoqué plusieurs pistes techniques, dont celle-là… qu’elle a même testée. Entre métaphores de boîte de nuit, justification technocratique et démonstration façon tuto, on a eu droit à un grand moment de télévision. Et autant dire que les internautes ne s’en sont pas remis.

La loi SREN et l’idée du videur numérique

Depuis le 11 janvier 2025, la loi SREN (Sécuriser et Réguler l’Espace Numérique) impose aux sites pornographiques de mettre en place une vraie vérification d’âge. L’objectif est, bien entendu, d’empêcher les mineurs, souvent exposés très tôt à ces contenus, d’y accéder aussi facilement qu’en cliquant sur un bouton. L’intention est bonne, et même saluée par beaucoup de parents (dont moi). Le problème, c’est la mise en œuvre.

Pour expliquer le principe, la ministre Clara Chappaz a sorti une métaphore plutôt… imagée : selon elle, accéder à un site porno devrait fonctionner comme l’entrée en boîte de nuit. Un videur numérique, en somme. Si vous êtes majeur, vous passez. Sinon, retour chez les parents. Et pour illustrer tout ça, elle prend en exemple les fameux sites où il suffit aujourd’hui de cliquer sur « Oui j’ai plus de 18 ans » pour avoir accès à tout. Un système aussi efficace qu’un cadenas en plastique.

D’où la volonté de mettre en place un contrôle plus solide. Mais attention, sans collecte d’identité ni suivi, pour préserver l’anonymat. C’est ce qu’on appelle le « double anonymat » : le site ne sait pas qui vous êtes, et l’outil de vérification ne sait pas sur quel site vous allez. Techniquement, c’est ce que la CNIL et l’Arcom tentent de cadrer avec un référentiel technique officiel.

Et là, tout dérape : le code à récupérer chez le buraliste

C’est lors de son passage dans l’émission Quotidien, présentée par Yann Barthès, que Clara Chappaz a lâché la perle. Après avoir rappelé que l’accès à la pornographie est interdit aux mineurs depuis plus de 30 ans, elle explique que des solutions techniques existent pour vérifier l’âge des internautes. Et là, au détour de la conversation, elle cite (tout naturellement) la possibilité d’aller dans un bureau de tabac pour obtenir un code.

Et pas juste en théorie : elle précise qu’elle l’a fait elle-même, la veille. Oui, la ministre chargée du numérique est allée chez un buraliste pour récupérer un « pass porno », comme si de rien n’était. Le buraliste vérifie qu’on est majeur, remet un petit code, et hop, il ne reste plus qu’à rentrer ce code dans une appli de vérification d’âge… pour accéder au site en question. Tout ça avec le sourire.

Le moment aurait pu passer inaperçu, mais forcément, le public a éclaté de rire, et le malaise s’est doucement installé. Parce que dans la vraie vie, aller demander un pass pour visiter un site pour adultes à un commerçant du coin, c’est tout sauf anodin. Encore plus quand on habite dans un petit village où tout le monde connaît tout le monde. Et puis entre nous : le buraliste saura très bien pourquoi vous venez. Vous ne demandez pas un code de vérification d’âge pour acheter un ticket de loto sur le site de la FDJ. Ça, vous pouvez le faire directement chez le buraliste justement.

Les internautes n’ont pas manqué de réagir

Il n’aura pas fallu longtemps pour que le passage dans Quotidien fasse le tour du Web. Extraits repris, détournements en chaîne, commentaires ironiques… le fameux « pass porno » à demander chez le buraliste est vite devenu la blague du moment. Et à vrai dire, difficile de rester sérieux quand on découvre certaines réactions.

« Bonjour, un paquet de Marlboro, une boîte de Tic Tac… et un code pour Pornhub, s’il vous plaît. »

« La France, seul pays où tu peux aller acheter un pass pour mater du porno… avec ton buraliste. »

D’autres soulignent l’absurdité du dispositif, surtout à l’heure où les VPN, navigateurs avec proxy intégré ou même Tor sont accessibles à tous, y compris aux ados.

« Les gamins savent contourner n’importe quoi sur Internet. Les seuls pénalisés, ce seront les plus âgés… qui n’ont même rien à se reprocher. »

Certains internautes ont même tenté l’expérience dans la vraie vie :

« J’ai été chez un buraliste référencé pour demander un pass Age Verif. Il ne savait même pas ce que c’était. »

« Dans mon village, le buraliste raconte déjà qui a acheté quoi. Alors demander un pass pour du X ? Laissez tomber. »

Et puis il y a ceux, plus techniques, qui rappellent l’évidence : ce genre de mesure n’est ni viable, ni efficace. Comme l’a très justement dit SaxX (alias Clément Domingo), hacker éthique français bien connu :

« Même si un tel système était mis en place, il ferait un flop monumental. Les ados se tourneraient vers les VPN, souvent gratuits, souvent douteux. Et techniquement, il serait impossible d’enrayer ça sans interdire les VPN en France… »

Bref, entre rires gênés, consternation et détournements à gogo, cette simple déclaration a mis en lumière un vrai problème de fond : on veut bien protéger les mineurs, mais encore faut-il proposer des solutions réalistes.

Un vrai problème, traité de la pire des manières

Ce qui rend tout ça aussi gênant, c’est que le problème de départ est sérieux. À 12 ans, un enfant sur trois a déjà été exposé à des contenus pornographiques en ligne. La facilité d’accès, la banalisation, l’absence de contrôle… on ne peut pas faire comme si de rien n’était. En tant que parent, difficile de rester indifférent face à ces chiffres.

Mais entre l’intention et la mise en œuvre, il y a un gouffre. On a l’impression que la solution a été pensée sans consulter les premiers concernés : les experts en cybersécurité, les développeurs, les parents, et même les ados. Du coup, on a un plan d’action à côté de la plaque, où le seul effet visible sera de gêner les adultes… sans réellement bloquer les mineurs.

Parce que les ados d’aujourd’hui ne vivent pas dans un monde de minitels. Ils savent ce qu’est un VPN. Ils savent installer Brave ou Tor. Ils savent contourner ce genre de barrière aussi bien, voire mieux, que certains adultes. Et à l’inverse, les utilisateurs les plus « déconnectés » vont se retrouver à devoir expliquer à un buraliste pourquoi ils veulent un code d’accès pour « un site un peu particulier ». Bonjour l’angoisse.

Pire encore : à trop vouloir bloquer, on risque d’encourager le recours à des plateformes moins sûres, non régulées, où les risques de contenus violents, non consentis, ou infectés sont bien réels. Autrement dit, le remède pourrait s’avérer pire que le mal

Bref, bon week-end à vous 😉


Cet article vous a plu ? N'hésitez pas à le partager sur les réseaux sociaux et abonnez-vous à JustGeek sur Google News pour ne manquer aucun article !

Et si vous souhaitez aller plus loin dans votre soutien, vous pouvez nous offrir un petit café virtuel ☕️. Merci pour votre soutien ❤️ !

Offrez-nous un café
3 commentaires
  1. C’est une blague, sérieux ? Rien qu’à la façon dont elle s’exprime, on sent tout de suite qu’elle ne connaît pas son sujet. Mon Dieu !

  2. Ce qui est AUSSI dangereux, c’est de laisser le pouvoir entre les mains d’incompétents/incompétentes, qui sont hors-sol, vivent dans un autre monde, dans une bulle loin de la réalité.
    Au final on arrive à ce genre de proposition (le bureau de tabac)

    Le pire c’est qu’ils ne s’en rendent même pas compte. On ne risque pas de s’en débarrasser, car ils se cooptent entre eux et font dégager ceux qui pourraient leur faire de l’ombre

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Article précédent
Logo de Google Chrome avec une icône de puzzle représentant une extension

Chrome : comment installer manuellement une extension

À découvrir également